République démocratique du Congo : Ce que révèle la véritable crise de la fécondité
  «Je voulais trois enfants. J'en ai déjà eu cinq et le sixième arrive bientôt. Je n'ai jamais eu le choix.»
Témoignage d'Ombeni Mburano, 31 ans, déplacée de Sake dans le territoire de Masisi en République démocratique du Congo (RDC). Comme des milliers de femmes et adolescentes congolaises, elle incarne une réalité trop souvent méconnue : celle d'une crise profonde de la liberté de choix en matière de procréation.
En RDC aussi, de nombreuses personnes n'ont pas une famille aussi grande qu'elles le souhaitent
Près d'un adulte sur cinq dans le monde est privé du droit de fonder la famille qu'il souhaite, alerte le FNUAP dans son rapport mondial sur l'état de la population 2025 : ces chiffres mettent en exergue une véritable crise de la fécondité . En RDC, ce constat retentit dans les zones de conflit et les quartiers péri-urbains.
Si certaines femmes comme Ombeni ont eu plus d'enfants que prévu, d'autres comme Clarisse, 22 ans,ont du mal à concevoir. À la suite de complications liées à une infection non traitée durant son adolescence, par manque d'information et de soins, elle garde des séquelles durables. Depuis son mariage il y a deux ans, Clarisse tente sans succès d'avoir un enfant. Aujourd'hui, elle vit sous pression : sa belle-famille s'impatiente et son mari prend ses distances.
Les pressions sociales, le manque d'informations fiables, l'opposition des partenaires et les obstacles économiques sont autant de facteurs qui entravent les souhaits en matière de procréation.
«Dans notre pays, ce n'est pas toujours vous qui décidez si vous voulez un enfant ou non. Parfois, c'est votre famille, votre mari... ou simplement les aléas de la vie», explique Ombeni.
Des mots qui en disent long. En RDC, derrière chaque grossesse non désirée, il y a souvent une femme ou une fille qui n'a pas eu le droit ou la possibilité de décider.
Ce n'est pas le désir d'enfants qui faiblit, mais bien la possibilité de répondre à un choix personnel.
Le rapport du FNUAP sur l'état de la population mondiale 2025 nous rappelle que la plupart des gens souhaitent avoir deux enfants ou plus. Mais en RDC, la pauvreté, la violence sexuelle, les mariages d'enfants, les déplacements forcés et la précarité de l'emploi empêchent trop souvent les citoyennes de préparer leur maternité en toute connaissance de cause.
À Goma, dans un centre de santé soutenu par le FNUAP, Espérance, sage-femme, explique :
«Beaucoup de jeunes femmes disent vouloir attendre avant d'avoir un enfant. Mais elles n'ont ni les moyens de se protéger, ni la capacité de dire non.»
Ce constat, partagé par de nombreux prestataires de santé en RDC, révèle une réalité alarmante : l'absence d'autonomie reproductive reste la norme pour des milliers de femmes et d'adolescentes. Lorsque l'information est insuffisante, que les moyens de contraception sont inaccessibles ou socialement rejetés, et que les rapports de force au sein du couple sont déséquilibrés, le choix devient illusoire. Ce n'est pas qu'elles ne veulent pas attendre ou planifier, c'est simplement qu'elles ne disposent pas des moyens nécessaires.
Les grossesses non désirées sont trop fréquentes
Le rapport révèle qu'environ une personne sur trois a connu une grossesse non désirée. Et près de 20 % personnes interrogées subissent des pressions pour avoir des enfants. En RDC, ces chiffres prennent une résonance particulière dans un contexte où les conflits armés aggravent l’exposition des femmes et filles aux violences sexuelles. Selon l'Enquête Démographique et de Santé III (2023-2024) de la RDC, près d'une naissance sur trois n'est pas planifiée et une femme sur cinq a un besoin non satisfait de contraception moderne, bien qu'elle veuille retarder ou éviter la grossesse.
Etiennette Mukwanga, psychologue clinicienne auprès du FNUAP dans l'est de la RDC, constate :
«De nombreuses survivantes viennent dans nos espaces sécurisés après avoir donné naissance à un enfant né d'un viol. Elles n'ont jamais été préparées, ni physiquement ni émotionnellement.»
Ces paroles soulignent l’une des facettes les plus tragiques de la crise du libre arbitre en matière de procréation en RDC : la maternité imposée par la violence. Pour ces survivantes, devenir mères n’a pas été un choix, mais une conséquence brutale d’un traumatisme. Dans un contexte où les services de soutien psychologique sont encore trop rares et l’accès à la contraception d’urgence limité, trop de femmes se retrouvent seules face à une grossesse non désirée, sans accompagnement ni possibilité de décider pour leur propre corps.
Les politiques doivent s’attaquer aux causes structurelles, et non dicter les choix
L’expérience internationale montre que les politiques de contrôle des naissances, que certains qualifient d’autoritaires, sont en échec. Offrir des avantages à la conception ou en restreindre l’accès ne constituent pas une solution durable. Ce qu’il faut plutôt, c’est renforcer l’accès aux droits de la santé en matière de reproduction, comme le souligne le rapport :«La réponse réside dans le libre arbitre, la capacité de choisir librement, en toute sécurité et dans la dignité.»
Ce principe, réaffirmé avec force dans le rapport du FNUAP, remet au cœur du débat ce qui a trop souvent été ignoré : les décisions en matière de fécondité doivent appartenir aux individus eux-mêmes, et pas aux hommes politiques, aux traditions ou aux circonstances. Garantir le libre arbitre ne consiste pas uniquement à fournir des services; il s'agit de créer un environnement dans lequel chaque personne peut décider, sans peur ni contrainte, si et quand elle souhaite avoir un enfant. C’est là que s’opère une véritable transformation.
Le peuple congolais a besoin de sécurité, d’égalité et d’espoir
Ce n’est pas le désir d’avoir des enfants qui s’éteint, mais le manque de perspectives acceptables. Le chômage, l’insécurité et l’inaccessibilité des soins de santé étouffent beaucoup d’espoir.
Pour la Dre Solange N. Ngane, Coordinatrice du programme de santé sexuelle et reproductive du FNUAP à Goma, dans le Nord-Kivu, la clé réside dans la confiance:
« Lorsque les femmes savent qu’elles seront soutenues, ont le droit de dire oui ou non, qu’elles peuvent s’épanouir, étudier, travailler et aimer librement, que c'est à elles aussi de faire des choix et de prendre des décisions en matière de reproduction, C'est seulement à ce moment-là qu'ils peuvent envisager de fonder une famille. »
Le Rapport sur l’état de la population mondiale 2025 établit un constat clair : la véritable crise de la fécondité ne se mesure pas au moyen de courbes démographiques, mais dans les cœurs et les corps de millions de personnes privées de choix. En République démocratique du Congo, dans un contexte d’urgence prolongée, garantir le libre arbitre en matière de reproduction n’est pas un luxe, c’est une urgence humanitaire.
Le FNUAP vise à faire en sorte que chaque grossesse soit désirée et que chaque femme puisse choisir son avenir
En RDC, le FNUAP renforce l’accès à la planification familiale, malgré des conditions de crise. Dans l’est du pays, des espaces dédiés à la planification familiale sont mis en place au sein des structures de santé appuyées, tandis que des stratégies communautaires sont mises en œuvre pour rapprocher les services des femmes déplacées, des rapatriées et des femmes des communautés locales.
Dans chaque structure, une sage-femme responsable soutient les femmes dès la période post-partum. Parallèlement, des agents de santé communautaires formés et équipés proposent des méthodes contraceptives modernes lors de campagnes de sensibilisation de masse et de visites à domicile.
L’objectif est clair : permettre à chaque femme de décider librement quand, et avec qui avoir un enfant. La planification familiale est bien plus qu’un service, c’est un droit fondamental, un levier d’égalité, d’autonomisation et de lutte contre la pauvreté.
Cet article a été initialement publié ici. Pour plus d’informations sur le travail de l’ONU en République Démocratique du Congo, voir drcongo.un.org.